Est-ce la fin de l’épidémie d’hépatite C ?

Aujourd’hui, contrairement à ce qu’il se passait il y a 5 ans, la presque totalité des patients porteurs du VHC (indépendamment de leur âge, d’une cirrhose, de l’échec d’un traitement préalable avec de l’interféron pégylé, d’une greffe d’organe, d’un statut VIH ou d’une consommation active de stupéfiants) peuvent être guéris de l’infection grâce à des agents antiviraux à action directe (AAD) (1,2). Ces AAD sont une combinaison avec un inhibiteur de protéase (-prévir) et/ou un inhibiteur du complexe NS5A (-asvir) et/ou un inhibiteur de la polymérase (-buvir). La guérison d’une infection par le VHC entraîne une diminution des complications hépatiques, mais la thérapie orale sûre et de courte durée (quelques semaines) à base d’AAD améliore également la survie globale du patient, ce qui est relativement unique en médecine (3). Ce pourcentage de guérison élevé a été obtenu dans l’étude d’enregistrement, l’efficacité du traitement étant en outre démontrée dans la pratique quotidienne. En 2015, la première génération d’AAD a déjà permis de guérir 94 % des patients parmi les plus difficiles à traiter (atteinte hépatique avancée) en Belgique (4). Aujourd’hui, l’efficacité des AAD s’est encore améliorée, si bien que nous parvenons à un pourcentage de réussite d’environ 100 %. Il n’y a que chez les patients présentant une cirrhose et une hépatite C de génotype 3 que ce pourcentage de réussite est de seulement 90 %. Les AAD qui seront commercialisés l’année prochaine permettront cependant d’approcher les 100 % dans ce groupe aussi (2). Par ailleurs, les dernières générations d’AAD ne nécessitent plus de ribavirine (qui a entraîné des anémies), tandis que la durée de traitement est inférieure ou égale à 12 semaines, si bien que l’observance thérapeutique approche des 100 %. Le tableau 1 présente une liste des différents AAD.


Doses, interactions avec d’autres médicaments et durée du traitement2017Hepatitis
La dose d’AAD ne doit jamais être adaptée ; par contre, le dosage de certains autres médicaments que prend le patient devra parfois être diminué, une anamnèse extrêmement précise des médicaments s’impose donc en toutes circonstances. Des informations sur les interactions entre les médicaments sont disponibles sur www.hep-druginteractions.org.
La durée du traitement devra dans certains cas être ramenée de 12 à 8 semaines en fonction de la combinaison qui est prise.

Les AAD ont-ils des contre-indications ?
Les AAD ont peu de contre-indications. Officiellement, le sofosbuvir ne peut pas être prescrit en cas d’eGFR inférieur à 30 ml/min/1,73 m² et si le patient prend de l’amidarone. Les inhibiteurs de protéase ne peuvent pas être prescrits aux patients qui souffrent d’une cirrhose décompensée, car ils ne sont pas correctement métabolisés et peuvent entraîner une toxicité.

Quels tests effectuer avant un traitement ?
Aujourd’hui, il est encore utile de définir le génotype. En effet, les combinaisons actuelles ne sont pas toutes pangénotypiques. En Belgique, le génotype dominant était le 1b (5). C’est toujours le cas dans les pays d’Europe de l’Est, qui n’ont connu qu’une faible immigration ces dernières années. En Belgique, le génotype 1b se retrouve encore chez 60 % des patients, mais une étude personnelle récente indique que chez les toxicomanes, la proportion du génotype 1a est passée à 44 % et que le génotype 3 se répand de plus en plus (30 %) (6).
Le génotypage peut se révéler tout aussi utile pour mieux distinguer les rechutes d’une réinfection. La fréquence des réinfections varie de 1 à 8 %/an et s’observe principalement chez les hommes homosexuels séropositifs (7).
Une détermination de la résistance systématique et préalable n’est pas nécessaire (seules les résistances aux inhibiteurs du complexe NS5A sont d’ailleurs cliniquement intéressantes). Il est par contre utile de définir la durée du traitement de certaines combinaisons d’AAD, notamment en cas de retraitement.

Qui doit être traité ?
Tout le monde devrait être traité. Or, compte tenu du coût élevé, les gouvernements ont introduit diverses restrictions partout en Europe (au départ, uniquement les patients avec une atteinte hépatique avancée comme en Belgique). Une forte concurrence fait cependant baisser le prix de ces antiviraux à chaque jour qui passe, et l’on s’attend à ce qu’en Belgique, presque tout le monde ait accès au remboursement dans moins de 2 ans. Le traitement des porteurs d’une infection par le VHC peut en effet contribuer à réduire le risque de transmission, ce qui permettra de maîtriser de mieux en mieux l’épidémie.

L’éradication du VHC aura-t-elle des conséquences négatives ?
Guérir du VHC provoque un changement dans notre système immunitaire (« reprogrammation »). Il a été récemment suggéré que ce changement pourrait favoriser le développement d’un carcinome hépatocellulaire (CHC) et réactiver l’infection par le VHB.
a.    Guérison du VHC et développement d’un CHC
À l’instar d’autres patients cirrhotiques, les patients atteints du VHC et d’une cirrhose voient le risque de CHC augmenter sensiblement. Par le passé, plusieurs études ont montré que l’éradication du virus entraînait une diminution de ce risque (8). Mais il ne disparaît pas totalement, si bien que des patients atteints d’une cirrhose VHC doivent continuer de subir des tests de dépistage (échographie semestrielle du foie), surtout s’ils sont âgés ou atteints d’un diabète sucré (9).
Une série d’études récentes suggèrent même que l’éradication du VHC augmente le risque de rechute d’un CHC. Ce point n’a cependant pas pu être confirmé par une étude française de grande ampleur, ni par les centres belges (10,11). Nous avons effectivement constaté une rechute du CHC de 15 % dans un délai de 6 mois à compter de la guérison, mais ce pourcentage était conforme aux attentes chez ces patients à haut risque. Nous avons par contre remarqué l’absence, en Belgique, d’un bon suivi des récidives de CHC chez ces derniers. Nous pouvons en conclure qu’il n’y a pas de raison de ne pas entamer une thérapie antivirale chez les patients à haut risque de récidive du CHC. Elle doit cependant s’accompagner d’une surveillance attentive, incluant un examen IRM régulier du foie.
b.    Guérison d’une infection par le VHC et réactivation du VHB
Les autorités ont récemment annoncé que l’éradication du VHC pouvait entraîner une hausse de la réplication du VHB. Une étude américaine observe une réactivation du VHB, avec développement d’une hépatite, chez 2,4 % des patients (12). Ce résultat est confirmé par des études menées à Taïwan et en Chine. Par contre, une autre étude de grande ampleur effectuée en Corée n’a pas permis de le valider (13). Il est dès lors recommandé de définir au préalable l’ADN du VHB chez les porteurs de ce virus qui reçoivent des antiviraux contre le VHC et de surveiller les taux d’ALT tout au long du traitement, mais rien n’interdit non plus de démarrer un traitement antiviral contre le VHC chez ces patients.


Est-il possible d’éradiquer le VHC ?
Le meilleur moyen d’éradiquer une maladie infectieuse consiste en une vaccination systématique. Il n’existe cependant pas encore de vaccin contre le VHC et la maladie se soignant désormais très bien, il convient de se demander si la recherche d’un vaccin présente toujours un intérêt suffisant pour le secteur !
L’autre moyen consiste en un dépistage systématique de la population. Plusieurs facteurs en faveur de ce dépistage sont en effet réunis : la maladie affiche un degré de gravité suffisant, la détection a des conséquences bénéfiques, car la maladie peut être guérie, la méthode de dépistage est simple et bon marché, et des méthodes de dépistage par une piqûre au bout du doigt sont en cours de développement. Enfin, la probabilité de dépister la maladie doit être suffisamment élevée à l’échelle de la population générale. Cette dernière condition n’est vraisemblablement plus remplie. Depuis que les produits sanguins sont sûrs, le nombre d’infections par le VHC dans la population générale a drastiquement baissé. Le virus reste cependant fréquent dans certains groupes à risque, notamment les toxicomanes et les hommes homosexuels séropositifs. Un dépistage systématique de ces groupes constitue dès lors la meilleure solution. Cette stratégie s’avère payante, comme l’indique la diminution spectaculaire du VHC chez les patients hémophiles. Contrairement à ce qu’il se passait précédemment, nous parvenons aujourd’hui à soigner presque tous ces patients (14).


Conclusion
Il s’agit effectivement de la fin de l’épidémie du VHC ! En Belgique, grâce à un dépistage systématique des produits sanguins et à un traitement efficace, nous observons d’ores et déjà une raréfaction des cirrhoses décompensées dues au VHC et pouvons tabler sur une éradication presque complète des infections par le VHC parmi la population hémophile. Mais ce n’est pas pour autant la fin du VHC ! Pour l’instant, cette maladie se rencontre encore fréquemment au sein de certains groupes cibles, notamment les toxicomanes et les hommes homosexuels séropositifs. Nous nous attendons cependant à ce que dans les années à venir, le coût des médicaments continue de chuter, si bien que les porteurs du VHC pourront également prétendre à un traitement, ce qui combiné à une bonne sensibilisation devrait permettre de résoudre le problème du VHC à long terme.

F. NEVENS,
MI Gastro-entérologie et hépatologie, UZ Leuven.

 

 

Bibliographie
1.    Zeuzem S, Andreone P, Pol S, Lawitz E, Diago M, Roberts S, Focaccia R, Younossi Z, Foster GR, Horban A, Ferenci P, Nevens F, Müllhaupt B, Pockros P, Terg R, Shouval D, van Hoek B, Weiland O, Van Heeswijk R, De Meyer S, Luo D, Boogaerts G, Polo R, Picchio G, Beumont M; REALIZE Study Team. Telaprevir for retreatment of HCV infection. N Engl J Med. 2011;364(25):2417-28.

2.    Tarik Asselah, Kris V Kowdley, Neddie Zadeikis, Stanley Wang, Tarek Hassanein, Yves Horsmans, Massimo Columbo, Filipe Calinas, Humberto Aguilar, Victor de Ledinghen, Parvez S. Mantry, Christophe Hezode, Rui Tato Marinho, Kosh Agarwal, Frederik Nevens, Magdy Elkhashab, Yiran B. Hu, Ran Liu, Teresa I. Ng, Chih-Wei Lin, Federico Mensa. Glecaprevir/Pibrentasvir for Eight or Twelve Weeks in Patients with HCV Genotype 2, 4, 5, or 6 Infection: Partially Randomized, Placebo Controlled Efficacy and Safety Results. JAMA 2017, submitted.

3.    Van der Meer AJ, Veldt BJ, Feld JJ et al. Association betweed sustained virological response and all-cause mortality amont patients with chronic hepatitis C and advanced hepatic fibrosis. JAMA 2012: 308(24): 2584-2593.

4.    Bielen R, Moreno C, Van Vlierberghe H, Bourgeois S, Mulkay JP, Vanwolleghem T, Verlinden W, Brixco C, Decaestecker J, De Galocsy C, Janssens F, Cool M, Van Overbeke L, Van Steenkiste C, D'Heygere F, Cools W, Nevens F, Robaeys G. Belgian experience with Direct Acting Antivirals in people who inject drugs. Drug and Alcohol Dependance 2017, Ahead of print.

5.    Brouwer JT, Nevens F, Bekkering FC, Bourgeois N, Van Vlierberghe H, Weegink CJ, Lefebvre V, Van Hattum J, Henrion J, Delwaide J, Hansen BE, Schalm SW; Benelux Study Group On Treatment Of Chronic Hepatitis C.. Reduction of relapse rates by 18-month treatment in chronic hepatitis C. A Benelux randomized trial in 300 patients. J Hepatol. 2004;40(4):689-95.

6.    Robaeys G, Bielen R, Azar DG, Razavi H, Nevens F. Global genotype distribution of hepatitis C viral infection among people who inject drugs. J Hepatol. 2016;65(6):1094-1103.

7.    Martinot-Peignoux M, Stern C, Maylin S, Ripault MP, Boyer N, Leclere L, Castelnau C, Giuily N, El Ray A, Cardoso AC, Moucari R, Asselah T, Marcellin P. Twelve weeks posttreatment follow-up is as relevant as 24 weeks to determine the sustained virologic response in patients with hepatitis C virus receiving pegylated interferon and ribavirin. Hepatology. 2010;51(4):1122-6.

8.    Morgan RL, Baack B, Smith BD, Yartel A, Pitasi M, Falck-Ytter Y. Eradication of hepatitis C virus infection and the development of hepatocellular carcinoma: a meta-analysis of observational studies. Ann Intern Med. 2013;158(5 Pt1):329-37.
 


9.    Arase Y, Kobayashi M, Suzuki F, Suzuki Y, Kawamura Y, Akuta N, et.al. Effect of type 2 diabetes on risk for malignancies includes hepatocellular carcinoma in chronic hepatitis C. Hepatology. 2013; 57(3):964-73.

10.    Pol S, Bourliere M, Lucier S, Hezode C, Dorival C, Larrey D, Bronowicki JP, Ledinghen VD, Zoulim F, Tran A, Metivier S, Zarski JP, Samuel D, Guyader D, Marcellin P, Minello A, Alric L, Thabut D, Chazouilleres O, Riachi G, Bourcier V, Mathurin P, Loustaud-Ratti V, D'Alteroche L, Fouchard-Hubert I, Habersetzer F, Causse X, Geist C, Rosa I, Gournay J, Saillard E, Billaud E, Petrov-Sanchez V, Diallo A, Fontaine H, Carrat F; ANRS/AFEF HEPATHER study group.. Safety and efficacy of daclatasvir-sofosbuvir in HCV genotype 1-mono-infected patients. J Hepatol. 2017;66(1):39-47.

11.    Bielen R, Moreno C, Van Vlierberghe H, Bourgeois S, Mulkay JP, Vanwolleghem T, Verlinden W, Brixco C, Decaestecker J, De Galocsy C, Janssens F, Van Overbeke L, Van Steenkiste C, D'Heygere F, Cool M, Wuyckens K, Nevens F, Robaeys G. The risk of early occurrence and recurrence of hepatocellular carcinoma in hepatitis C infected patients treated with direct acting antivirals with and without Pegylated Interferon: A Belgian experience. J Viral Hepat. 2017. Ahead of print.

12.    Belperio PS, Shahoumian TA, Mole LA, Backus LI. Evaluation of hepatitis B reactivation among 62,920 veterans treated with oral hepatitis C antivirals. Hepatology. 2017. Ahead of print.

13.    Sulkowski MS, Chuang WL, Kao JH, Yang JC, Gao B, Brainard DM, Han KH, Gane E. No Evidence of Reactivation of Hepatitis B Virus Among Patients Treated With Ledipasvir-Sofosbuvir for Hepatitis C Virus Infection. Clin Infect Dis. 2016;63(9):1202-1204.

14.    Peerlinck K, Willems M, Sheng L, Nevens F, Fevery J, Yap SH, Vermylen J. Rapid clearance of hepatitis C virus RNA in peripheral blood mononuclear cells of patients with clotting disorders and chronic hepatitis C treated with alpha-2b interferon is not a predictor for sustained response to treatment. Br J Haematol. 1994;86(4):816-9.


Tableau 1 : les différents agents antiviraux à action directe

Inhibiteurs de protéase : -prévir
–    Simeprévir
–    Paritaprévir
–    Grazoprévir
–    Glecaprévir

Inhibiteurs du complexe NS 5A : -asvir
–    Daclatasvir
–    Ledipasvir
–    Ombitasvir
–    Velpatasvir
–    Elbasvir
–    Pibrentasvir

Inhibiteurs de la polymérase : -buvir
–    Sofosbuvir
–    Dasabuvir