Après l’étude SIPPET

L’introduction de l’inactivation virale du facteur VIII dérivé du plasma (pd-FVIII) et du facteur recombinant VIII (r-FVIII) a rendu plus sûr le recours à des facteurs antihémophiliques (FAH) pour la prise en charge de l’hémophilie A. Le principal problème iatrogénique qui reste préoccupant est le risque de voir le patient développer des inhibiteurs. Les patients non traités précédemment (PNTP) y sont les plus exposés. Plusieurs facteurs de risque acquis ou génétiques ont été décrits, mais l’un des éléments critiques est l’influence des FAH utilisés à l’entame du traitement, ce qui soulève la question de savoir si le risque de développement d’inhibiteurs diffère selon qu’il s’agit de pd-FVIII ou de r-FVIII.

Jusqu’à présent, seules des cohortes observationnelles ont été étudiées pour répondre à cette question et ont abouti à des résultats contradictoires : parmi les six cohortes les plus importantes, trois ont suggéré une réduction du risque avec des produits à base de pd-FVIII, tandis que les trois autres n’ont indiqué aucune différence entre le pd-FVIII et le r-FVIII. Une méta-analyse portant sur 2094 patients qui a été publiée en 2010 n’a mis en lumière aucune différence significative, malgré un taux de bons répondeurs atteignant 17,4 % (14,2-21,2) chez les patients ayant reçu du r-FVIII, contre 9,3 % (6,2-13,7) chez les patients ayant reçu du pd-FVIII. Récemment, des données extraites de FranceCoag, un registre français, ont montré que des PNTP traités avec du pd-FVIII  présentaient une incidence inférieure d’inhibiteurs à titre élevé après les 75 premiers jours d’exposition (JE) par rapport à ceux qui avaient été traités avec du r-FVIII octocog alfa . L’étude SIPPET a été publiée en 2016. Cet essai randomisé a comparé l’incidence du développement d’inhibiteurs lors des 50 premières perfusions de pd-FVIII ou de r-FVIII (ou pendant les 3 premières années) chez des PNTP9. Les résultats de l’étude SIPPET montrent un taux global de développement d’inhibiteurs de 26,8 % (IC de 95 %, 18,54-35,2) avec le pd-FVIII, contre 44,5 % (34,7-54,3) avec le r-FVIII. Cette différence a également été observée pour les inhibiteurs à titre élevé : 18,6 % (IC de 95 %, 11,2-26,0) avec le pd-FVIII et 28,4 % (IC de 95 %, 1,69, 0,96-2,98) avec le r-FVIII. La publication de l’étude SIPPET a donné lieu à un débat qui a été résumé dans un récent numéro de la revue Haemophilia10-13.

Nous estimons qu’une série de points méritent d’être soulignés. En dépit des critiques, l’étude SIPPET est la plus importante étude randomisée jamais menée en hémophilie, une maladie qui répond aux critères de l’OMS s’appliquant aux maladies rares. Une étude de ce type exigeait de toute évidence une structure multicentrique internationale, un modèle fréquemment mis en œuvre dans les essais cliniques, qui regroupait des pays présentant des niveaux de soins extrêmement hétérogènes. Cette stratégie appliquée dans d’autres domaines (oncologie, thérapies antithrombotiques, etc.) ne soulève pas ce genre de critiques sur la méthode.

Une objection porte sur le fait que l’étude SIPPET ne compare pas un produit unique à un autre. En effet, elle a pour but de comparer l’incidence de la formation d’inhibiteurs entre les deux principaux groupes de produits, le pd-FVIII et le r-FVIII. Rassembler ces deux classes de produits dans la même étude prospective est probablement plus instructif que des études de cohorte ou des méta-analyses qui effectuent des comparaisons tous médicaments confondus. La structure originale d’une étude randomisée sur le pd-FVIII par rapport au r-FVIII dans chaque centre permettant de comparer des patients individuels qui vivent dans un même environnement et sont traités de la même manière et par la même équipe semble judicieuse pour éviter plus de biais que la randomisation de chaque patient par pays.

Il est évident que les produits dérivés du plasma ne résolvent pas le problème des inhibiteurs11, mais l’étude SIPPET indique que l’incidence du développement d’inhibiteurs (évaluée dans un laboratoire centralisé, ce qui n’est pas le cas dans les études de cohorte ou les méta-analyses) était significativement plus élevée chez les PNTP traités avec du r-FVIII au cours des 50 premiers JE. L’étude SIPPET formule donc une réponse étayée par des éléments solides à la question de savoir si l’incidence de l’apparition d’inhibiteurs chez des patients atteints d’hémophilie A au cours des 50 premiers JE diffère en fonction du pd-FVIII ou du r-FVIII utilisé dans l’étude.

Dans la plupart des contextes médicaux, la médecine fondée sur des données probantes juge qu’une étude randomisée contrôlée, même si elle comporte quelques défauts inévitables, s’accompagne d’un niveau de preuve plus élevé pour répondre à une question clinique qu’un groupement de résultats provenant d’études rétrospectives ou d’études de cohorte. L’hémophilie constituerait-elle une exception ?

Enfin, nous tenons à formuler deux remarques importantes : des essais cliniques randomisés contrôlés sont difficiles à mettre en œuvre dans le domaine de l’hémophilie congénitale. Ce type d’études dans ce contexte est extrêmement rare. Elles n’ont donc pas le même pouvoir de conviction que dans d’autres champs de la médecine. Le fait que certains auteurs remettent en question les résultats de l’étude SIPPET par rapport à ceux d’études de cohorte observationnelles apporte la preuve de la faiblesse de la culture de la randomisation dans le domaine de l’hémophilie.

L’étude SIPPET est une étude randomisée et contrôlée, qui a produit des résultats significatifs et a été publiée dans une revue importante. Il s’agit par ailleurs d’une étude académique qui a bénéficié de fonds tant publics que privés et qui n’a pas été menée par une firme pharmaceutique. Ces arguments nous incitent à considérer l’étude SIPPET comme une référence dans son domaine, ce qui doit être pris en compte lors de la prise de décisions cliniques.

En conclusion, sur la base de la seule étude randomisée contrôlée disponible concernant le traitement des patients atteints d’hémophilie A, la CoMETH estime que le r-FVIII est plus immunogène que le pd-FVIII. La hausse de l’immunogénicité entraîne une hausse similaire du risque d’inhibiteurs à titre élevé. Cette conclusion, bien que peu susceptible de modifier radicalement la pratique clinique, doit inciter à la plus grande prudence dans l’utilisation de FAH r-FVIII chez des PNTP, qui sont soumis à un risque élevé de développement d’inhibiteurs. Le principe de précaution appliqué à ces données doit être posé. Le choix du type de FAH par le médecin au moment d’entamer le traitement d’un PNTP est multifactoriel et doit tenir compte de l’environnement social, du patient et des préférences de la famille après un consentement éclairé. Ce choix doit également comporter une stratégie de stratification des risques qui prend en considération tous les facteurs de risque de développement d’inhibiteurs, notamment le type de la solution.

Source : Haemophilia 2018