L'étude des inhibiteurs chez les tout-petits exposés aux produits dérivés du plasma ( Survey of Inhibitors in Plasma-Product Exposed Toddlers - SIPPET) est un essai clinique randomisé ayant comparé l'incidence des inhibiteurs du facteur VIII chez les jeunes patients non préalablement traités (PUP) recevant du facteur VIII dérivé du plasma contenant du facteur de von Willebrand ou du facteur VIII recombinant.
L'étude a été menée entre 2010 et 2014 et a recruté des patients provenant de 42 centres de traitement de l'hémophilie dans 14 pays d'Afrique, d'Asie, d'Amérique et d'Europe. Les résultats viennent juste d'être publiés dans le New England Journal of Medicine (Peyvandi F et al. N Engl J Med 2016;374:2054-2064). Deux cent cinquante et un PUP ont terminé l'étude et 125 d'entre eux ont reçu du FVIII dérivé du plasma qui contenait du facteur de von Willebrand et 126 ont reçu du FVIII recombinant. Des inhibiteurs se sont développés chez 29 des 125 patients traités par du facteur VIII dérivé du plasma (20 d'entre eux présentaient des inhibiteurs de titre élevé) et chez 47 des 126 patients traités par du facteur VIII recombinant (30 d'entre eux présentaient des inhibiteurs de titre élevé). L'incidence cumulée de tous les inhibiteurs était de 26,8 pour cent avec le facteur VIII dérivé du plasma et de 44,5 pour cent avec le facteur VIII recombinant. L'incidence cumulée des inhibiteurs à titre élevé était de 18,6 pour cent avec le facteur VIII dérivé du plasma et de 28,4 pour cent avec le facteur VIII recombinant. L'utilisation du facteur VIII recombinant était par conséquent associée à une incidence des inhibiteurs de 87 pour cent, plus élevée que celle du facteur VIII dérivé du plasma, et à un risque d'inhibiteurs à titre élevé de 69 pour cent, également plus élevé que celui du FVIII dérivé du plasma. L'étude a comparé les deux classes de concentrés (dérivés du plasma contenant du facteur de von Willebrand et recombinants) et il n’a pu être tiré aucune conclusion concernant le risque associé aux marques spécifiques.
Une étude randomisée est une étude dans laquelle chaque patient est assigné au hasard à l'un ou l'autre des bras de traitement, ce qui élimine les possibilités de biais. Ces études sont reconnues comme fournissant le niveau de preuves le plus élevé (niveau 1). L'étude SIPPET est l'unique étude randomisée qui aborde ce sujet particulier. Il n’a pas été tout à fait inattendu de constater que les patients traités par le facteur VIII dérivé du plasma contenant du facteur von Willebrand avaient une incidence plus faible des inhibiteurs que ceux traités par un facteur VIII recombinant. Plusieurs études observationnelles et essais cliniques non randomisés antérieurs avaient suggéré qu'il pourrait y avoir une augmentation du risque de développement des inhibiteurs chez les PUP traités avec des produits recombinants. En effet, l'étude SIPPET a été spécifiquement mise en place avec l'objectif de fournir une réponse définitive à la controverse et au débat de longue date à ce sujet.
Quelles sont les répercussions sur le traitement ?
Il est important de souligner que cette études a uniquement des répercussions sur le traitement initial des patients non préalablement traités (PUP) atteints d'une hémophilie A sévère jusqu'à un total de 50 jours d'exposition. Cela est généralement considéré comme la période de risque la plus élevée pour le développement des inhibiteurs. Le nombre de jours d'exposition n'est pas nécessairement équivalent au nombre de perfusions de concentré car c'est le nombre de jours au cours desquels le traitement est administré qui compte et non pas le nombre de perfusions. Par exemple, si un enfant reçoit des perfusions de facteur VIII deux fois par jours lors de trois jours successifs pour un saignement musculaire ou une intervention chirurgicale mineure, alors le nombre de jours d'exposition est de trois. La plupart des jeunes patients atteints d'hémophilie sévère qui entreprennent une prophylaxie atteindront le seuil de 50 jours d'exposition à l'âge de deux ou trois ans. Aucune modification de traitement ne doit être envisagée dans le cas d'enfants plus âgés ou d'adultes ayant reçu un traitement au-delà de la période de risque élevé des 50 jours d'exposition. Cette étude n'a aussi absolument aucune répercussion sur les patients atteints d'hémophilie B (également connue sous le nom de maladie de Noël). Aucune suggestion de risque plus élevé de développement des inhibiteurs avec le facteur IX recombinant n’a jamais été faite et donc seuls les PUP atteints d'hémophilie A étaient recrutés dans l'étude SIPPET.
Les inhibiteurs sont des anticorps présents dans le sang qui inactivent le facteur VIII perfusé. Les patients avec des inhibiteurs ne saignent pas nécessairement plus fréquemment mais ils sont généralement résistants au traitement avec des concentrés conventionnels de facteur VIII. Les saignements chez les patients avec des inhibiteurs peuvent généralement être traités efficacement par des agents alternatifs connus sous le nom d'agents de contournement, comme par exemple FEIBA® et NovoSeven®. Les inhibiteurs disparaîtront de façon permanente chez environ 70 pour cent des patients après une cure prolongée de traitement régulier avec des doses élevées de facteur VIII connu sous le nom de tolérance immunitaire. Chez certains patients avec des niveaux d'inhibiteurs faibles, les anticorps peuvent disparaitre de manière spontanée en l'espace de quelques semaines ou de quelques mois et sans traitement particulier. Le traitement des patients avec des inhibiteurs peut se révéler très cher et l'utilisation d'agents de contournement et de traitement de tolérance immunitaire peut ne pas être une option possible dans les pays qui disposent de ressources économiques limitées. Dans l'enquête de l'EHC de 2015, seuls 19 pays européens ayant répondu sur 37 ont eu accès à un traitement de tolérance immunitaire pour toutes les personnes hémophiles qui en avaient besoin et 8 pays supplémentaires avaient un accès partiel.
La publication de cette importante étude générera clairement des discussions à travers le monde parmi les médecins impliqués dans les soins contre l'hémophilie et les organismes professionnels liés. Il existe un grand nombre d'options de traitement possible pour les PUP et l'EHC ne prévoit pas d’accord universel sur la marche à suivre. L'étude SIPPET s'est concentrée uniquement sur le risque de développement des inhibiteurs mais d'autres facteurs doivent également être pris en compte lors d'une prise de décision concernant le traitement des PUP. La liberté par rapport au risque de transmission d'agents pathogènes transmissibles par le sang a toujours été l'attrait principal des produits recombinants. Alors qu'il n’existe aucun risque de transmission de virus comme le VIH ou l'hépatite C avec les concentrés dérivés du plasma modernes, il n'y a aucune garantie que les virus, qui peuvent émerger au cours des années à venir, ou d'autres agents comme les prions, ne seront pas transmis.
Un grand nombre de médecins sont susceptibles de conseiller l'utilisation de concentré de facteur VIII dérivé du plasma qui contient du facteur de von Willebrand (FVW) pendant environ les 50 premiers jours d'exposition, avant de passer à une marque de facteur VIII recombinant. Il s'agit d'une option très convenable basée sur les résultats de l'étude SIPPET. Il est certainement question de l'option la plus raisonnable dans les pays avec des ressources économiques limitées dans lesquels le développement d'un inhibiteur chez un jeune patient peut avoir des conséquences néfastes très graves. Cette approche peut uniquement aider à minimiser le risque de développement de l'inhibiteur et ne l'élimine pas complètement : comme cela a été rapporté ci-dessus, on peut s’attendre à ce qu'environ un patient sur quatre qui reçoit le concentré de facteur VIII dérivé du plasma développe un inhibiteur. Lors de la sélection d'un produit dérivé du plasma, il faut garder à l'esprit que l'étude SIPPET a spécifiquement examiné l'impact des produits dérivés du plasma qui contiennent du facteur de von Willebrand ainsi que celui du facteur VIII. L'étude ne fournit aucune preuve d'un effet bénéfique similaire avec les concentrés de facteur VIII dérivés du plasma de haute pureté, qui contiennent uniquement du facteur VIII.
D'un autre côté, certains cliniciens auront tendance à penser que la liberté par rapport au risque de transmission de pathogènes est une contrepartie plus importante et choisiront de continuer de traiter les nouveaux PUP avec le facteur VIII recombinant. Une approche hybride, qui a également été recommandée, implique l'utilisation de produits dérivés du plasma pour le traitement initial de la petite minorité de PUP perçue comme ayant des risques accrus de développement d'inhibiteurs, tandis que tous les autres PUP continuent à être traités avec les produits recombinants. Les facteurs de risque du développement des inhibiteurs, qui ont déjà été identifiés lors de précédentes études, comprennent certains génotypes (les anomalies génétiques sous-jacentes, qui causent l'hémophilie), les antécédents de la famille proche en termes de développement d'inhibiteurs (comme un grand frère) et l'origine ethnique Afro-antillaise.
Nous espérons que les Organisations Nationales Membres seront consultées et impliquées dans le développement de directives nationales à ce sujet et également que les médecins traitant discuteront avec les parents des jeunes PUP des questions clés.
Quelles sont les répercussions sur les essais cliniques ?
Un grand nombre de nouveaux produits du facteur VIII recombinant ont été développés ces dernières années, dont certains avec une demi-vie prolongée. Une licence a déjà été attribuée à certains d’entre eux pour une utilisation clinique par les agences réglementaires après la présentation de données de sécurité d'emploi et d'efficacité satisfaisantes chez les adultes et les adolescents hémophiles. Cependant, les essais cliniques sur ces agents chez les PUP ont seulement commencé assez récemment et il est important de prendre en considération les répercussions des résultats de l'étude SIPPET en ce qui concerne le recrutement de ces études cliniques en cours. L'EHC pense qu'il est important que ces études sur les PUP continuent et que les résultats de l'étude SIPPET ne dissuadent pas les parents d’inscrire leur enfant dans ces études. Il est possible que certains de ces nouveaux produits puissent réellement prouver qu’ils sont moins immunogéniques que les produits conventionnels. Étant donné le nombre limité de PUP, il serait fortement souhaitable pour le plus grand nombre d’entre eux d'être recrutés dans des essais cliniques prospectifs formels et/ou des études de pharmacovigilance.
Synthèse :
Les options pour le traitement des PUP avec un déficit en FVIII doivent être considérées avec attention par les cliniciens principaux en charge de l'hémophilie dans chaque pays. Les cliniciens doivent examiner de manière collective les points de vue de l'organisation nationale des patients hémophiles sur cette question en plus de discuter avec soin des diverses options avec les parents des enfants hémophiles préalablement non traités.
Dans les pays où le FVIII recombinant est le traitement standard, les options de traitement des PUP comprennent :