Si par le passé ils étaient condamnés au fauteuil et au lit, les patients hémophiles peuvent aujourd’hui mener une vie normale grâce à un traitement préventif. L’UZA est l’un des cinq hôpitaux belges qui disposent d’un centre de référence de l’hémophilie.
Avec environ un millier de patients en Belgique, l’hémophilie est une maladie très rare. Les personnes qui en sont atteintes présentent des troubles de la coagulation. « En cas d’hémorragie, le corps forme un tampon de plaquettes sanguines pour refermer le vaisseau », explique le docteur Alain Gadisseur, professeur en hématologie. « Sur ce tampon se crée ensuite un réseau de câbles très fins. C’est à ce stade que le processus échoue chez les patients hémophiles, si bien que leurs plaies sont susceptibles de continuer à saigner très longtemps. Le problème vient d’une protéine spécifique qui est absente ou présente en trop faible quantité dans le plasma. » Chez les personnes atteintes d’hémophilie A, soit environ 85 % des patients, il s’agit du facteur de coagulation VIII. L’hémophilie B se caractérise par un déficit du facteur de coagulation IX.
« L’hémophilie est une maladie héréditaire qui touche uniquement les garçons », indique le pédiatre hématologue Philip Maes. « La maladie se transmet en effet de mère en fils. Les femmes peuvent tout au plus en être porteuses : elles produisent le facteur de coagulation en quantité moins importante, mais n’en subissent pratiquement aucune conséquence. Elles doivent parfois suivre un traitement en prévision d’une opération, en fonction du taux de facteur de coagulation dans le sang. La probabilité qu’elles transmettent l’anomalie génique à leur enfant est de une sur deux : les filles sont également porteuses dans la moitié des cas et les fils ont 50 % de risque d’avoir la maladie. » Le diagnostic est posé sur la base d’une analyse sanguine.
Trois injections par semaine
« Avant, il n’y avait pas de véritable traitement et les malades ne quittaient que rarement leur fauteuil ou leur lit », précise Alain Gadisseur. « Ils ne pouvaient pour ainsi dire pas bouger. Leurs articulations se bloquaient du fait des innombrables saignements, si bien qu’ils devenaient handicapés à vie. La plupart décédaient vers l’âge de 20 ou 30 ans à la suite d’une hémorragie trop importante. »
Dans les années 60, il est devenu possible d’injecter un facteur de coagulation fabriqué à partir de plasma humain à des patients. Leur survie a alors considérablement augmenté. « Mais l’espérance de vie s’est à nouveau effondrée en raison de produits sanguins infectés, un problème qui s’est posé à l’échelle mondiale. Parmi les hémophiles, 95 % ont été contaminés par l’hépatite C et 12 % par le VIH, avec toutes les conséquences qui en découlent. Après 1990, la situation a heureusement pu être contrôlée et il n’y a plus eu aucune contamination », insiste Alain Gadisseur.
Au début des années 90, le traitement à base de facteurs de coagulation était parfaitement au point et les patients pouvaient se l’administrer à domicile. Alain Gadisseur : « Les malades atteints d’une hémophilie grave, susceptibles de souffrir de saignements totalement inattendus, bénéficient aujourd’hui d’un traitement préventif à base de facteurs de coagulation. La plupart se font une injection trois fois par semaine. Si une hémorragie survient malgré tout, ils doivent en effectuer une supplémentaire. » Les patients qui présentent une forme mineure ou modérée de la maladie doivent recevoir une injection uniquement en cas de saignement, par exemple après une chute ou avant une opération.
Une vie normale grâce aux injections
Grâce à ce traitement, les patients peuvent aujourd’hui mener une vie normale et ont une espérance de vie semblable à la moyenne. Le sport est non seulement autorisé, mais il est même recommandé, car des muscles plus forts protègent mieux les articulations. « L’un de nos patients atteints d’une hémophilie mineure est devenu champion d’Europe de karaté. Ce qui était totalement impensable par le passé », ajoute Alain Gadisseur. Les malades voient le nombre de saignements se réduire, ce qui diminue d’autant le risque de problèmes articulaires ultérieurs à condition de suivre scrupuleusement leur traitement.
Une thérapie génique attendue avec impatience
À l’heure actuelle, le traitement progresse à grands pas. Pour le facteur de coagulation IX, nous disposons aujourd’hui de produits à action prolongée que les patients doivent en théorie s’injecter une fois toutes les trois semaines tout en bénéficiant du même degré de protection. « Mais en général, je propose un programme basé sur une injection par semaine. La fréquence reste moins élevée que par le passé, tandis que le malade est mieux protégé qu’avant », affirme Alain Gadisseur. Quant aux patients qui ont besoin du facteur de coagulation VIII, un nouveau médicament leur permet de passer de trois injections par semaine à une ou deux.
« Sans compter que d’ici deux ans, un autre type de médicaments sera commercialisé », ajoute Philip Maes. « Les patients ne devront plus effectuer qu’une seule injection par mois, non plus dans une artère mais en sous-cutanée. Ce qui constituerait également une formidable amélioration. Même s’il faut encore observer les effets secondaires à long terme. »
Pour le reste, tout le monde attend avec impatience la première thérapie génique. « En Angleterre, il y a déjà eu une étude qui a donné de bons résultats ; et en Belgique, une étude va bientôt être menée chez des adultes atteints d’hémophilie B », signale Alain Gadisseur. « Le facteur VIII est introduit dans les cellules par le biais d’un virus génétiquement modifié. Après quelques injections, les cellules parviennent à le fabriquer elles-mêmes. Normalement, ces patients devraient être délivrés de leur maladie pendant six ou sept années. Mais nous n’y sommes pas encore : il doit d’abord y avoir une étude à grande échelle. »
Un centre spécialisé dans l’hémophilie
En 2017, l’UZA a été agréé en tant que centre de référence de l’hémophilie. « Nous assurions évidemment un accueil de qualité à nos patients avant cette reconnaissance, mais nous allons rationaliser encore plus nos soins », explique Alain Gadisseur. « Désormais, nous allons veiller à ce que les patients adultes bénéficient aussi d’un suivi systématique de la part de S.P.O.R.T.S., notre centre de médecine sportive, comme c’est le cas depuis longtemps avec les enfants. En collaboration avec les experts de S.P.O.R.T.S., nous évaluons l’état des articulations, après quoi le service de médecine physique donne un avis, avec des plans d’entraînement ou des conseils pour soulager les articulations. Les services d’hématologie et de pédiatrie vont par ailleurs collaborer davantage. »
Le centre de référence de l’hémophilie a été mis sur pied en collaboration avec l’équipe Hémophilie du ZNA. Les deux équipes se retrouvent chaque mois pour discuter de leurs patients.
Le centre propose également une aide psychosociale. L’infirmier spécialisé en hémophilie est une personne de référence pour le patient, ainsi qu’un point d’appui. Les malades qui le souhaitent ainsi que leur famille peuvent s’adresser à un psychologue. L’assistant social est là pour les soutenir dans leurs démarches administratives. « Nous collaborons en outre étroitement avec le service d’orthopédie : nos patients, surtout les plus âgés, ont tôt ou tard presque tous besoin de prothèses articulaires. Et pour les soins dentaires, la plupart s’adressent à Luc Bensch, chef de clinique en dentisterie de l’UZA, qui connaît parfaitement les précautions à prendre avec les patients hémophiles », conclut Alain Gadisseur.
Source : UZA Magazine